Au lendemain de l’élection du Maroc au Conseil de l’Organisation Maritime Internationale (OMI) pour un nouveau mandat de deux années, Monsieur RAFIKY Abdelkabir, Administrateur des Affaires Maritimes, revient sur cet événement, pour apporter un certain nombre d’éclairages sur les enjeux des questions traitées par l’OMI et sur les relations hétéroclites de notre pays avec cette Organisation. Il formule quelques pistes pour une meilleure visibilité de notre pays sur la scène maritime internationale.
Le Royaume du Maroc vient d’être réélu au Conseil de l’Organisation Maritime Internationale (OMI) pour un nouveau mandat de deux années. Si cette élection marque une nouvelle étape dans l’histoire de la coopération de notre pays avec cette Organisation, elle est aussi génératrice d’espoir de voir les pouvoirs publics reprendre en main la gouvernance du secteur des transports maritimes, aujourd’hui en déperdition et de conquérir par la même occasion, la position qui revient à notre pays sur la scène maritime internationale. Le signal nous vient encore une fois de l’extérieur. Pour comprendre cela, il serait utile de visiter la partie invisible de l’iceberg OMI, de zoomer sur son Conseil et d’éclairer les rapports entretenus par le Maroc avec cette Institution, avant d’oser exprimer l’espoir d’une ère nouvelle: le cap de bonne espérance ! Pas le point géographique bien entendu, (qui s’écrit avec un trait d’union, vous l’avez remarqué), mais plutôt l’espoir d’une destinée.
L’OMI et ses enjeux :
Quiconque feuillette la brochure de présentation élaborée par l’OMI intitulée : « l’OMI ce qu’elle est, ce qu’elle fait » prend immédiatement la mesure de l’importance de cette Institution et de ses missions. Pour cela, pas la peine d’être savant ou spécialiste de la question.
Si le système des Nations Unies a créé en 1948 cette Organisation spécialisée dédiée exclusivement au secteur maritime, d’abord sous le nom d’Organisation Intergouvernementale de la Navigation Maritime (OMCI), puis d’Organisation Maritime Internationale (OMI) en 1982, c’est que ce secteur représente des enjeux pour la communauté maritime internationale et qu’il y avait lieu de veiller à son organisation en ramenant les pays maritimes vers des ententes concertées visant à garantir « une navigation plus sûre et des océans plus propres ». Depuis, les phénomènes de la piraterie maritime et du terrorisme menaçant la mer et les ports, donnent une portée nouvelle à la mission de l’OMI qui intègre désormais la sûreté maritime parmi ses préoccupations. A son actif aujourd’hui, on compte quelques 1000 recueils de règles, codes et recommandations en relation avec les domaines précités.
Au-delà de la simple lecture d’une brochure au premier degré, celle que doivent en faire les pouvoirs publics, devrait les mener normalement à appréhender que les enjeux apparents, cèdent vite le pas à d’autres plus profonds, que les pays ayant scellé une coopération régulière et agissante avec l’OMI ont bien compris.
Ces enjeux peuvent être classés en quatre catégories distinctes :
- Le volet normatif grâce auquel l’OMI réglemente le secteur de la navigation maritime dans tous ses compartiments et qui finit par faire obligation aux Etats de s’y conformer, au risque de se voir confrontés à des actes pénalisant leur flotte marchande et par voie de conséquence leur commerce et leurs emplois maritimes, directs et indirects;
- L’impact financier des règlements et normes produits et dictés par l’OMI aux pays maritimes, qui plombent les armements de commerce, mais aussi le Budget des Etats devant développer leurs capacités à se conformer aux dispositions réglementaires les interpellant en tant qu’Autorité maritime (A titre d’exemple : Développement d’un dispositif de recherche et de sauvetage, de télécommunications, de contrôle portuaire, de sûreté portuaire etc ….) ;
- Le lobbying effectué par les grandes firmes nationales sur leurs Etats ou par les multinationales pour faire faire adopter par l’OMI des règles et des normes dont l’application, bien qu’elles apportent des solutions technologiquement avancées aux préoccupations de la communauté maritime internationale, sont pour ces firmes sources de gains financiers substantiels ;
- L’intérêt que trouvent les puissances maritimes dans l’entrée en vigueur de règles et normes contraignantes à chaque fois renforcées, servant les appétits de leurs armements au détriment des flottes des jeunes nations maritimes qui peinent financièrement et parfois techniquement à s’y conformer dans un environnement de rude concurrence.
Une nuance à relever quand même : L’OMI tient à souligner qu’elle n’est pas derrière les mesures prises que l’on qualifie souvent de complexes et contraignantes, mais c’est bien les Etats membres qui la composent qui en sont les maitres d’œuvres. Une nuance de taille, car elle met en avant la responsabilité des pays membres et personne d’autre. La technique du consensus, pratiquée par cette Organisation pour l’adoption des normes, règles et résolutions, tient compte certes des avis des Etats, mais elle est néanmoins, une démarche qui est mue par un mécanisme lent et irréversible.
Au vu de ces enjeux, il est légitime de poser l’inévitable question de savoir si le Maroc se doit d’être actif ou non au sein de cette Institution ? Jusqu’à une date récente, seule une poignée de cadres du secteur maritime national répondaient par l’affirmative. Les responsables de l’Administration maritime, lorsqu’ils n’y étaient pas opposés, prononçaient un « oui » à peine audible, probablement de courtoisie s’il en est, en raison du fait que l’OMI se trouve être sous l’aire de compétence de l’Ambassade du Royaume du Maroc auprès du Royaume Uni, qui œuvre inlassablement pour que notre pays puisse jouer pleinement son rôle au sein de cette Institution et au sein des autres instances à vocation maritime basées à Londres.
Pour situer et saisir la position que le Maroc devrait s’assurer dans cet espace maritime mondial, je voudrais apporter un bref éclairage sur le Conseil de l’OMI et son importance.
Le Conseil de l’OMI, objet de toutes les convoitises :
Etant l’Organe directeur de l’OMI, ce Conseil est vivement convoité par les Etats à vocation maritime qui aspirent à être au centre des grandes décisions ayant des incidences directes et indirectes sur la sécurité de la navigation, la sécurité des navires de commerce et de pêche, la sûreté maritime, la construction navale, les télécommunications maritimes, la formation des gens de mer, la préservation du milieu marin, le sauvetage des vies humaines en mer, le transport et le trafic maritimes, ainsi que la coopération technique.
Si l’on a donc appréhendé la ferme résolution des Etats à faire partie du cercle étroit des 40 pays composant le Conseil et si l’on a bien apprécié les enjeux qui se trament autour des dossiers traités par l’OMI, on a vite compris les raisons de cette légitime appétence.
On retrouvera les 40 Etats membres élus selon leur classement dans les catégories « A », « B », et « C ». Les deux premières catégories, sont composées, je dirai des Etats inamovibles, puisqu’ils sont élus par acclamation. C’est dans la catégorie C que la compétition est forte.
Pour comprendre la subtilité de la répartition des 40 sièges au sein du Conseil, il est utile de passer rapidement en revue les trois catégories :
La catégorie « A » comprend les 10 pays considérés comme ayant « le plus grand intérêt à fournir des services internationaux de navigation maritime », à savoir la Chine, la Grèce, l’Italie, le Japon, la Norvège, le Panama, la République de Corée, la Fédération de Russie, le Royaume-Uni et les États-Unis d’Amérique.
La catégorie « B » correspond à 10 autres pays ayant « le plus grand intérêt dans le commerce maritime international ». Elle est composée de l’Argentine, du Bangladesh, du Brésil, du Canada, de la France, de l’Allemagne, de l’Inde, des Pays-Bas, de l’Espagne et de la Suède.
La catégorie C, comprend les pays ayant « un intérêt particulier dans le transport maritime ou de navigation et dont l’élection au Conseil est à même de veiller au respect de la représentation de toutes les grandes régions géographiques du monde ». On retrouve actuellement dans cette catégorie, les pays suivants : l’Australie, les Bahamas, la Belgique, le Chili, Chypre, le Danemark, l’Indonésie, la Jamaïque, le Kenya, le Libéria, la Malaisie, Malte, le Maroc, le Mexique, le Pérou, les Philippines, Singapour, l’Afrique du Sud, la Thaïlande et la Turquie.
C’est la configuration actuelle du Conseil au terme des élections du 29 novembre 2013. Le fait marquant de ces dernières élections, c’est que l’Egypte a quitté son siège après une quarantaine d’année de présence au sein du Conseil. On enregistre un nouveau venu : Le Pérou, qui donne une large représentativité au Continent d’Amérique Latine avec un total de 6 pays au Conseil. L’Arabie Saoudite n’a pu intégrer le Conseil, malgré sa seconde tentative et les moyens qu’elle y a consacrés. Israël qui visait un siège au sein dudit Conseil n’a pu y accéder en dépit du soutien qu’elle a pu obtenir de la part de nombreux pays.
Quant au Maroc, il a pu garantir un second mandat en raflant 119 voix sur les 154 Etats membres ayant voté à cette occasion. On retiendra qu’il s’est classé malgré tout, 14 ème sur les 20 pays élus dans la catégorie C. C’est le 4ème pays du continent africain présent au Conseil aux côtés de l’Afrique du Sud, du Kenya et du Libéria.
Et après ? Une question qui peut paraitre péjorative ! Non loin de là ! Posons la autrement pour en percevoir le vrai sens : Quel rôle jouera cette fois-ci l’Administration maritime concernée au sein du Conseil, après deux années de silence radio ?
Le Maroc sur la scène maritime internationale: Acteur ou figurant ?
Le score réalisé par le Maroc est fort appréciable. Il couronne le travail diplomatique pertinent engagé par l’Ambassade du Royaume du Maroc à Londres, qui par sa présence active continue dans, je dirai la « Sea City » (ville par excellence des Institutions et Organisations professionnelles maritimes), elle a su mener une campagne, intelligente, discrète et en profondeur en faveur de cette élection. Elle a su faire valoir les acquis de plusieurs actions engagées en 2009, 2010 et 2011 s’inscrivant dans le sillage des préoccupations de l’OMI (Création d’un VTS, d’un MRCC régional pour la zone Nord-Ouest africaine, rencontres des FIPOL à Marrakech et de l’IMSO à Tanger, Présidence du Maroc de la Conférence diplomatique sur le Protocole de la Convention HNS, Maroc hôte de sessions de formation régionales diverses, participation active aux rencontres régionales, dynamisation de la coopération maritime bilatérale etc …) et qui ont valu au Maroc d’être élu au dit Conseil en novembre 2011, après une absence de 10 années consécutives. La présence également de quelques cadres motivés de l’Administration maritime et du Ministère des Affaires Etrangères, ont appuyé cette campagne en faisant jouer leurs relations professionnelles et les réseaux inhérents à leurs fonctions, portés par la force d’inertie des activités déjà engagées.
Ceci étant, la tâche n’a pas été facile pour mener à bien cette campagne. Elle a été plombée à la fois par la déficience d’une activité dynamique au sein des organes de l’OMI et par le manque notoire d’activités de coopération avec l’OMI et avec ses instances satellites durant les deux dernières années. En effet, l’Administration maritime de tutelle n’a pas jugé opportun de maintenir l’élan de cette coopération, malgré l’avis contraire de la Direction de la Marine Marchande, longtemps laissée sans timonier, faisant ainsi figure de navire à la dérive, dont les signaux d’alertes n’étaient malheureusement pas captés. A ce jour, personne ne sait pourquoi les responsables au sein du Département de tutelle, ont préféré réserver le tiroir à une feuille de route que les spécialistes marocains du dossier OMI avaient soumis aux décideurs. Ce document devait guider l’élaboration d’un plan d’action permettant d’être à la hauteur des engagements pris au niveau international et régional, sur la base desquels, de nombreux Etats avaient appuyé l’élection de notre pays au Conseil, convaincus du rôle que le Maroc est en mesure de jouer sur la scène maritime internationale, de par sa position stratégique dans la région Nord atlantique, maghrébine et Nord-Ouest africaine. Est-ce la position des chantres du libéralisme aveugle administré au secteur du transport maritime national qui a influé sur les relations de notre pays avec l’OMI, ou tout simplement parce qu’ils ne percevaient pas l’intérêt de se mobiliser pour cette Instance ?
Le Maroc a été réélu certes avec brio et nous connaissons qui est réellement derrière ce résultat. L’essentiel c’est de savoir pourquoi ? Dans quel but ? Pourquoi a-t-on voté pour nous ? Pourquoi est-il le seul pays arabe à siéger au Conseil malgré les fonds déboursés par certains pays du golf dans une campagne tambour battante ? Enfin, sommes-nous conscients que le Maroc est le seul pays maghrébin et Nord Ouest africain à représenter les deux Régions au Conseil ?
Les réponses à ces questions devraient constituer les principaux considérants introductifs d’une nouvelle feuille de route traçant les différentes actions à mener pour être à la hauteur des responsabilités qui incombent à notre pays au sein de cette Institution. Mais pour cela, il faudrait y aller en rang soudés, en associant toutes les Administrations intervenant dans le secteur maritime, sans susceptibilités, ni conflits de compétences, ni compétition pour des honneurs éphémères. Aujourd’hui il n’existe malheureusement pas d’instance nationale de coordination qui puisse veiller sur cette démarche et permettre ainsi, aux Administrations sectorielles en relation avec la mer, de se concerter sur les grandes questions du maritime influant sur leurs secteurs respectifs et de prendre des positions conjointes pour éclairer et faciliter la prise de décision à l’international. Par ailleurs, la Direction de la Marine Marchande, (Point focal national de l’OMI), devrait être renforcée en moyens et en ressources humaines compétentes. Sa position sur l’échiquier de la gouvernance publique du secteur des transports maritimes devrait être clarifiée et consolidée. Les ONG du secteur sont aussi incontournables lorsqu’elles défendent l’intérêt général. Elles sont en mesure d’apporter expertise et conseil pour des dossiers souvent complexes nécessitant un avis pouvant aider à la prise de décision.
Je voudrais souligner quand même la chose suivante : Ce n’est pas notre élection au Conseil de l’OMI qui doit rythmer notre activité sur la scène maritime internationale ! Ce serait une impardonnable erreur. Indépendamment de notre présence ou non au sein de ce Conseil, la coopération bilatérale et multilatérale devrait être intelligemment exploitée au service de la grandeur maritime du Maroc, des intérêts du pays et de ses causes premières, parallèlement à une action dynamique et régulière au sein de tous les organes de l’OMI, qui sont les chevilles ouvrières de toutes les décisions prises par cette Organisation.
Mais cet engagement devrait pour sa pleine réussite, reposer sur une véritable Vision maritime intégrée, définie par les pouvoirs publics, durable et opposable à tous, mettant le secteur maritime national à l’abri des aléas des découpages institutionnels et des soubresauts chaotiques des convenances partisanes.
Dans l’espoir se dissout le doute :
J’avoue que j’ai été désorienté en lisant l’édition économique du 05 décembre 2013 d’un quotidien national très matinal, qui a accordé plusieurs pages à un entretien avec le Ministre de l’Equipement, du Transport et de la Logistique, sous le titre « Aziz REBBAH déballe tout ». En effet, le Ministre a tout déballé en passant en revue les routes, les ports, la logistique etc …, sauf qu’il n’a pas traité du secteur du transport maritime, alors qu’il constitue le moteur de croissance des secteurs abordés. Je formule toutefois le souhait que l’entretien ait été accordé au journal avant la visite du Ministre à l’OMI et avant l’élection de notre pays au Conseil de cette Institution et que sa parution n’a eu lieu qu’au lendemain de cet événement. Aussi, ne préjugeons pas de l’action projetée suite à l’avènement de la nouvelle organisation institutionnelle du secteur du transport, dont les responsables au sommet de l’édifice, semblent vouloir apporter l’antidote au « grand corps malade ».
En effet, la récente configuration du Gouvernement, nous a gratifiés de deux Ministres intervenant dans le secteur maritime: Le Ministre de l’Equipement, du Transport et de la Logistique et le Ministre Délégué aux Transports. Une véritable opportunité pour le secteur, d’autant que les échos relatifs à leur rapport au maritime, laissent entendre qu’ils ont un sens de l’écoute et une volonté d’aller de l’avant.
Un constat qui s’affirme par la présence des deux Ministres à la 28 ème session de l’Assemblée Générale de l’OMI qui s’est tenue du 25 novembre au 3 décembre 2013. C’est un événement en soi, au moins en raison du fait que les deux hauts responsables ont pu dimensionner l’importance de l’Organisation Maritime Internationale, relevé la présence massive des Délégations de nombreux pays maritimes, remarqué le haut niveau de représentativité des délégations présentes, noté le degré élevé de compétition pour l’accès au Conseil de l’OMI et souligné l’expertise qui se dégage des discussions et des débats engagés à l’OMI, sur des sujets travaillés et professionnellement préparés.
Est-ce les prémisses d’une nouvelle ère suggestive de bonne espérance, celle d’un Maroc maritime créateur de richesses et bien visible sur la scène maritime internationale ?
Attention, Novembre 2015 c’est déjà demain !
RAFIKY Abdelkabir
Administrateur des Affaires Maritimes
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