Alors que le Royaume, devient pour la première fois de son histoire, uniquement un pays chargeur et non plus transporteur d’une partie de son fret, nous avons choisi de reproduire pour nos lecteurs et lectrices un article de grande valeur sur le sujet au titre « Les Chargeurs Africains face à la libéralisation des transports maritimes internationaux ». Cet article est paru dans la « Revue Africaine des Affaires Maritimes et des Transports » (Edition de Janvier 2011) dont nous tenons à remercier d’ailleurs son Codirecteur de publication Mr Eric DIBAS-FRANCK de nous avoir autorisé à reproduire celui-ci. Article à méditer et à partager.
"Notre Revue est particulièrement heureuse de donner la parole à M.Sérigne Thiam DIOP, une importante personnalité maritime africaine, qui s’exprime ici sur les problèmes auxquels sont confrontés les chargeurs africains dans un environnement concurrentiel désormais très fortement libéralisé et assez défavorable à l’économie maritime du continent.
Nommé en Juillet 2009 Secrétaire Général de l’union des conseils des chargeurs Africains (UCCA), cet homme d’envergure et de grande expérience a fait l’essentiel de sa carrière au sein du conseil sénégalais des chargeurs (COSEC) ou il a été Directeur de la promotion et de l’assistance aux chargeurs (1996 à 2001) et ensuite Directeur technique (2001 à 2009) Titulaire d’un Diplôme de conseiller en transport Maritime et Internationaux (diplôme 3e cycle) obtenu en 1983 au centre supérieur des transports internationaux (CSTI) de Marseille (France) et d’une Maîtrise en droit des affaires de l’université de Dakar (1982), il est l’auteur de plusieurs publications et a fait partie de nombreuses délégations sénégalaises ou continentales dans les grands forums maritimes internationaux. Depuis sa brillante élection à l’UCCA, notre Revue s’était faite l’agréable promesse de lui rendre ce modeste hommage et de lui donner la parole dans ses colonnes qu’il soit remercié d’avoir bien voulu honorer notre invitation."
C’est au début du 19e siècle que les pays européens, notamment le Portugal et l’Espagne entreprirent la colonisation de l’Afrique et l’implantation de compagnies de transport maritime, telles que la compagnie maritime des chargeurs Réunis.
Le principe de la continuité territoriale faisait de cette navigation, un « cabotage colonial » excluant la participation de compagnie étrangère au trafic entre la métropole et la colonie, suivant l’Act édicté en 1651, par le général Oliver CROMWELL.
Des conférences maritimes qui ont été de puissants instruments d’application de cette politique ont été créées. Il s’agit, notamment, de continent West africa conférence (COWAC), Mediterranean West africa conférence (MEWAC) qui assuraient le transport maritime entre l’Europe et les Etats de l’Afrique de l’Ouest et du centre.
Cependant, elles restaient fermées aux compagnies africaines qui étaient en nombre insuffisant et de faible capacité. A l’époque, seule la black star line (BSL) (Ghana), Nigérian National Shipping Line (NNSL), Société Ivoirienne de transport Maritime (SITRAM) et compagnie Maritime Zairoise (CMZ), participaient au trafic.
Il résulte de ce qui précède, que plus de 90% du commerce extérieur de la sous-région s’effectuait par voie maritime. Le secteur des transports maritimes était cependant en pleine mutation dans les années 1970. C’est ainsi qu’ont été adoptées :
-Le 6 avril 1974, à Genève, la convention des nations unies relative à un code de conduite des conférences maritimes, et
-Le 7 mai 1975, à Abidjan, la charte des transports Maritimes appelée « CHARTE D’ABIDJAN » au cours de la première conférence Ministérielle des Etats de l’Afrique de l’Ouest et du Centre sur les transports Maritimes.
Ce qui a permis au secteur maritime de la sous région de prendre un nouvel essor, notamment par la création, outre des armements africains, des conseils des chargeurs et de l’UCCA qui ont pour objectifs de réduire les coûts de transport au profit des chargeurs.
La nouvelle organisation étant très favorable au développement du secteur maritime de la sous-région au détriment des armements étrangers, il fallait imaginer de la part de ces derniers un moyen de la démanteler. C’est ainsi que :
L’UE a adopté les règlements CEE n° 954/79 et n° 4055/86 relatives respectivement à « la mise en commun des droits de trafic maritime des Etats de la communauté » et au « libre accès aux trafics de tous leurs armements ».
A la suite de plaintes émanant d’opérateurs maritimes européens, la commission a infligé, le 1er avril 1992 à Bruxelles, des sanctions à l’encontre de Delmas et de CMB pour abus de position dominante. Etaient essentiellement visés, les bureaux de réservation de fret mis en place dans les ports européens par des Etats Africains dans le cadre de la répartition de cargaisons ;
-profitons de la dévaluation du franc CFA, l’UE a demandé à la banque mondiale d’introduire dans les conditionnalités du financement de la dévaluation du F CFA survenu en janvier 1994, la libéralisation des transports maritimes.
L’objectif poursuivi par l’union européenne a été d’ouvrir, à terme, intégralement le trafic maritime de l’Afrique de l’ouest et du centre aux armements européens. C’est dans ce contexte qu’est arrivée d’une façon brutale la libéralisation des services de transport.
Evidemment, l’OMAOC et l’UCCA s’y étaient fermement opposés. Ils avaient cependant pris des dépositions pour y faire face en organisant deux tables rondes sur les transports maritimes a Cotonou, du 23 au 26 juin 1992 et du 23 au 6 juin 1997. Les principales conséquences de la libéralisation sont essentiellement :
-La fin de la répartition des cargaisons et de la protection des 40% du trafic global généré par le commerce extérieur dans la sous-région qui entraina l’arrêt de l’exploitation des armements nationaux Africains dont la stratégie reposait essentiellement sur la protection assurée par les conseils de chargeurs africains ;
-une baisse relative des taux de frets dans le court terme, ces taux ayant connu une hausse vertigineuse par la suite.
En effet en limitant la répartition des cargaisons au seul trafic conférence par des arrêtés que les institutions de Bretton Woods ont imposés à nos pays sur la demande de l’UE, le marché potentiel auquel pouvait prétendre les armements nationaux était réduit de plus de 85%.
En plus, une telle décision ne s’appliquant qu’aux armements membres des conférences maritimes, ces derniers n’avaient plus perçu l’intérêt de demeurer dans un tel système dans lequel opèrent des armements hors-conférences concurrents qui étaient en dehors du champ d’application de la réglementation. Les armements les plus significatifs, tel SDV, ont quitté les conférences maritimes consacrant ainsi dans les faits la libéralisation totale du trafic maritime.
La conséquence à court terme a été l’arrêt des activités des compagnies maritimes africaines et à long terme la domination du marché par les grands groupes maritimes étrangers qui jusqu’au jour d’aujourd’hui contrôlent plus de 90% du secteur maritime et imposent d’une façon unilatérale et abusive des taux de fret et surcharges aux chargeurs. Ainsi depuis la libéralisation, on assiste à des augmentations des taux de fret qui ont une incidence négative sur les économies africaines par :
-Leur impact sur le déficit de notre balance de paiements.
-Leur contribution à la perte de compétitivité de nos produits à l’exportation.
-Le surenchérissement des coûts de revient des produits importés et comme corollaire la diminution du pouvoir d’achat des ménages.
L’objectif visé à travers la libéralisation des transports maritimes n’a donc pas été atteint. En effet, elle visait à créer les conditions d’une concurrence saine et loyale dans l’optique d’un rétablissement des taux de fret à un niveau acceptable et d’une réduction des tarifs des divers intervenants.
Il faut cependant souligner que les pays développés qui pronent la libre concurrence mènent des politiques protectionnistes pour réserver ces secteurs. On pourrait citer diverses mesures restrictives en Europe et aux Etats Unis qui empêchent les opérateurs maritimes étrangers d’y exercer leurs activités.
L’existence d’armements africains pourrait permettre d’avoir des taux de fret de référence, ce qui éviterait de continuer subir ceux imposés par d’autres armements. Des initiatives on été prises à cet effet par des opérateurs du secteur pour créer des compagnies de cabotage sous-régional dans le cadre de la mise en œuvre des résolutions de l’OMAOC, notamment, celle adoptée à Abuja, le 10 mai 1999.
La société de transport et d’opérations maritimes (SATOMAR), créée à Dakar en 2000, et ECOMARINE, créée à lomé le 12 janvier 2002, en sont des exemples.
Par ailleurs, l’UCCA dans le cadre de la mise en œuvre de sa mission fondamentale, le maintien des taux de fret à un niveau raisonnable, a repris contact avec les armements qui desservaient nos ports. Ainsi, en concertation avec l’AGRAOP, elle a rencontré l’Association des Armements européens, ECSA, le 16/07/2010 Bruxelles. La déclaration conjointe signée par les trois présidents peut être résumée ainsi qu’il suit :
1-Mise en place de canaux formels d’information à utiliser pour s’informer mutuellement de toute décision devant toucher l’activité de leurs membres.
2-Engagement d’ECSA à recommander à ses membres de communiquer préalablement à toute application de réajustement des surcharges les informations pertinentes y relatives à l’UCCA et l’AGPAOC.
3-Engagement de l’AGPAOC à communiquer à ECSA, préalablement à toute application de réajustement des coûts de prestation portuaire, toutes les informations y afférentes avec signification de préavis.
4-Engagement de l’UCCA à communiquer à ECSA les informations sur le commerce maritime et sur l’environnement réglementaire des pays de la sous-région.
5-Principe de se rencontrer deux fois par an en vue de passer en revue tous les sujets d’intérêt commun.
6-Chaque partie rédigera un Mémorandum, prenant en compte toutes ses préoccupations, à soumettre à l’autre partie en vu d’y apporter des solutions diligentes.
Nous ne pouvons que nous réjouir face à ce nouveau dispositif de coopération et de concertation pour l’avenir.
Par Sérigne Thiam DIOP
Expert Maritime Agréé,
Secrétaire Général de l'UCCA
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