De 1942 à 2060 : Le Maroc et le Conteneur global

Point de vue
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Les fondements de l’ordre maritime actuel relèvent de l’ordre nomade.

Pour en comprendre la genèse, il faut remonter à 1933, année où la Chambre de Commerce Internationale crée le « bureau international des containers ». Cette instance visionnaire, en avance sur son époque, tente de réunir au niveau mondial toutes les parties concernées par l’intermodalité : chargeurs, transporteurs, courtiers et transitaires. Cependant l’initiative demeure embryonnaire. Il faudra attendre la seconde grande guerre (1939‑1945) pour que l’idée rencontre un écho, mais seulement auprès des flottes de combat. 

En effet, pour en finir avec ce conflit, une armée américaine commandée par le général Patton, débarque dans le secteur de la côte atlantique du Maroc, à Kénitra (Port Lyautey), au nord de Casablanca et à Safi. C'est l'« Opération Torch » (8 novembre 1942). À cette occasion, des conteneurs de différentes tailles sont massivement utilisés par la logistique militaire.

Ensuite, dès la fin des hostilités, ce mode de transport se révèle très pratique et se répand rapidement dans les milieux civils. En particulier, à partir de 1947, son usage devient courant à Casablanca et atteint en 1952 une moyenne de 400 unités par mois. En particulier, seize maisons de commerce s’unissent pour former, en 1950, la « Chambre syndicale des exploitants et transporteurs en container du Maroc ». On disait « container » car l’appellation française « conteneur » n’est entrée en vigueur que le 15 septembre 1977.

Pour accompagner la demande, on lui affecte exclusivement le terre‑plein 17, judicieusement placé à l’enracinement du môle de commerce. Les grues de quai, toutes d'une puissance supérieure à 5 tonnes, assurent des transferts rapides. Les sorties et les retours se font par camions ou par wagons, et de vastes hangars facilitent les visites. Le matériel de manutention sur zone de stockage se compose principalement d’un portique Schwartz‑Haumont de 25 tonnes de capacité ; il a une largeur de 30 m et se déplace sur une longueur de rails de 220 m. Cependant, à partir de 1963, ce précieux capital sera démantelé, non seulement par négligence, mais surtout par ignorance.

Par contre, à l’étranger, au même moment, la communauté portuaire s’imprègne de la nature nomade[1] du conteneur : il voyage sur les océans comme on voyageait sur les mers de sable du Sahara marocain. Dans le prolongement de cette représentation, la métaphore va progressivement se confondre avec la réalité. On invente d’abord le dromadaire des océans (le porte‑conteneurs) [2], puis on crée, à l’échelle de la planète, un réseau d’oasis maritimes (les terminaux à conteneurs). Enfin, à l’image des caravanes sahariennes, les porte-conteneurs organisent leurs périples autour de ces nouvelles oasis. Devenues d’immenses places fortes de l’échange, elles ont aujourd’hui pour nom Singapour, Shanghai, Hong Kong, Rotterdam, Pusan ou bien encore Dubaï.

On peut dire que du seul fait de la conteneurisation, le paysage maritime et portuaire a changé au cours de la seconde moitié du XXème siècle davantage que dans n'importe quelle autre période de l'histoire.

Enfin, le conteneur, objet vide et sensible, agit comme une éponge : il compile la mémoire des lieux et des populations. Devenu outil universel, il incarne à la fois la mobilité et l’isolement, et fait désormais partie de cette classe d’objets nomades comme la roue, l’étrier ou le transistor, qui ont profondément marqué la civilisation humaine.

Depuis vingt ans, le conteneur accélère l’espace maritime. La course au gigantisme demeure la seule constante dans une industrie navale qui tourne à plein régime. L’ancien ordre géoportuaire disparaît de la scène et un nouvel ordre apparaît. Cet ordre change sans cesse.

Cependant, tout indique qu’il tend vers une forme d’équilibre stable jusqu'à l'horizon 2060. La prédiction de cette forme est importante. Elle constitue une préoccupation majeure pour l’économie de chaque nation. Dans le cas du Maroc, elle se révèle un outil précieux pour anticiper le repositionnement de son système portuaire et surtout pour lui permettre d’entrer dans le club très fermé des ports à vocation globale.

La nouvelle forme durable va s'organiser et se structurer selon le principe du transbordement en cascade, c'est‑à‑dire par la mise en place d’une nouvelle hiérarchie portuaire articulée autour de pivots globaux, régionaux et secondaires.

Le Maroc doit donc construire un nouveau port, par exemple dans la région de Nador, à l’ombre du cap des trois fourches. Ancré sur le marché chinois, ce pivot global, dit « Nador Med » sera spécialement dédié au tapis roulant planétaire dédié au transport des conteneurs.


 [1] Le terme nomade vient du mot grec ancien « nomos » qui fait référence à la notion de partage des pâturages.

[2] Le mot « porte-conteneurs » est une traduction directe de l'anglais container carrier, qui est devenu plus tard container ship.

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