Selon Alphaliner, les neuf premiers transporteurs mondiaux de la ligne régulière ont enregistré un bénéfice d'exploitation consolidé de 15,1 Md$ en 2020 contre 4,8 Md$ en 2019. Leur chiffre d'affaires cumulé s'est établi à 128 Md$ pour l'année, à peine plus que les 120 Md$ enregistrés en 2019. Les analystes leur promettaient une perte collective astronomique. Ils ont eu droit à des taux de fret stratosphériques. Jusqu'à quand ?
Ils ont adressé un joli pied de nez à tous les analystes qui leur promettaient, dès le deuxième trimestre de 2020, « une triple bastonnade » selon l’expression de l’un d’entre eux. Certains leur garantissaient même une perte collective s’élevant jusqu’à 23 Md$ dans certains scénarios. Dès avril 2020 le consultant danois Sea-Intelligence faisait état de deux théories. Dans la première, les compagnies maritimes de la ligne régulière perdaient 10 % de leur volume mais maintenant la stabilité de leurs tarifs, elles limitaient les dégâts collectifs à 800 M$ en 2020. Dans la seconde, le volume et les tarifs cédaient 10 %, entraînant une perte spectaculaire de 23 Md$. L’analyste danois sera contraint, au regard de l’évolution de la situation radicalement autre, de corriger le trait, pronostiquant selon les scénarios une perte de 7 Md$ ou un bénéfice de 9 Md$.
15,1 Md$ de bénéfices
Selon Alphaliner, les neuf premiers transporteurs mondiaux de la ligne régulière (sans MSC qui ne publie pas ses comptes et ONE dont l’année fiscale vient à peine de se terminer) seraient au-delà de ces prévisions et sans doute des attentes des principaux concernés compte tenu des conditions dans lesquelles cette performance a été réalisée. Ensemble, ils ont consolidé un bénéfice d'exploitation de 15,1 Md$ en 2020 (4,8 Md$ enregistrés en 2019). Les résultats révèlent une marge d'exploitation moyenne de 24,5 % au dernier trimestre de 2020, mais six d’entre eux présentent des marges supérieures à 30 %.
« Trois transporteurs ont pris la tête du peloton au dernier trimestre : ZIM, Yang Ming et Wan Hai, suivis de HMM, Evergreen et ONE. Hapag-Lloyd, Maersk et Cosco ferment le ban avec des marges inférieures à 20 % », indique le spécialiste de la ligne régulière, sur la base des bénéfices opérationnels (hors gains ou pertes extraordinaires résultant de la vente de navires et des dépréciations).
Le chiffre d'affaires cumulé des neuf transporteurs s'est établi à 128 Md$ sur l’exercice 2020, finalement 6,5 % de plus « seulement » que les 120 Md$ enregistrés en 2019. Le redressement de la situation financière des compagnies maritimes dans le conteneur était déjà enclenché dès le 4e trimestre 2019, excepté pour HMM et Yang Ming, qui sont les seuls de la classe à avoir encore affiché une marge d'exploitation négative à l’issue des trois premiers mois de l’année.
Meilleur trimestre depuis 2008
En observant une discipline de fer dans la gestion de leurs capacités mises sur le marché durant le premier semestre et en surfant sur la vague de la forte demande de transport maritime durant la seconde partie de l’année, les compagnies maritimes ont manœuvré avec l’agilité financière nécessaire pour sortir de l’ornière Covid avec des ratios financiers qu’ils n’avaient pas atteints depuis au moins une décennie.
Et l’épiphanie se poursuit. Selon Clarkson, le transport maritime vient de vivre son meilleur premier trimestre depuis l'effondrement de Lehman Brothers et la crise financière mondiale. L'indice ClarkSea, une moyenne pondérée des revenus d’affrètement des pétroliers, des vraquiers, des porte-conteneurs et des transporteurs de gaz gérés par Clarkson Research Services, a atteint une moyenne de 17 461 $/j durant les trois premiers mois de cette année, la meilleure moyenne trimestrielle depuis 2008. Les bénéfices réalisés dans le conteneur et le vrac sec y ont contribué.
L’indice des taux d'affrètement des porte-conteneurs atteint ainsi son niveau le plus élevé depuis 2005. Le deuxième trimestre a en outre très bien démarré, à 20 759 $/j, soit une hausse de 36 % par rapport au début de l'année.
Maintien à un niveau élevé ?
Les taux de fret pourraient-ils rester aussi élevés ? C’est la question qui se pose alors que les taux spot du transport de conteneurs restent en orbite géostationnaire et ne montrent aucun volonté d’atterrissage. Même la route transatlantique Europe-États-Unis, qui ne semblait pas profiter jusqu’à présent du boom, connaît des frémissements. En direction de l'ouest, les taux ont augmenté de près de 50 % entre le 31 mars et le 8 avril, pour atteindre 3 254 $ par EVP. Le 1er avril, Hapag-Lloyd a annoncé la suspension des réservations sur huit traversées au départ de l'Europe du Nord vers les États-Unis, au cours de la première moitié du mois, en raison d'une « situation de sur-réservation ».
La question se pose avec d’autant plus d’acuité que le blocage du canal de Suez pendant une semaine va aggraver la faible disponibilité des conteneurs et des navires. Or la conjonction d’une forte demande et d’une capacité limitée régalent en principe les tarifs de transport. Elle se pose aussi car, dans les temps ancestraux « antécovidiens », la saison actuelle correspond à une période de l’année où les taux de fret se modèrent. Ce n’est pas tout à fait la trajectoire sur laquelle ils sont engagés actuellement : au mieux ils se maintiennent à des taux élevés au pis ils poursuivent leur déraisonnable ascension.
Des hausses de près de 400 % sur une base annuelle
L'indice composite hebdomadaire de Drewry (World Container Index), publié le 8 avril, était fixé à 4 910 $ pour un 40 pieds. Soit une hausse de 221 % sur une base annuelle. Le Freightos Baltic Daily Index s’élevait, lui, à 4 260 $ par EVP le 8 avril, quatre fois plus élevé que les niveaux normaux pour cette période de l'année.
Dans le cadre du trafic Asie-États-Unis, la dernière évaluation de Drewry pour un Shanghai-New York faisait état d’un tarif de 6 705 $/EVP et de 4 202 $ entre Shanghai et Los Angeles. Le taux au comptant pour les cargaisons d'Asie vers l'Europe du Nord est maintenant en hausse de 396 % en glissement annuel, avec des taux vers la Méditerranée en hausse de 317 %.
L’Histoire comme guide ?
« En utilisant l'Histoire comme seul guide, le pari intelligent serait de penser que le marché va se refroidir rapidement. Mais nous ne sommes pas en temps normal. Nous soutenons que les transporteurs sont bien préparés pour au moins deux autres années très rentables », estime le consultant britannique Drewy, manifestement pas calmé par les prévisions ratées dans ses ardeurs à se projeter. Les transporteurs seraient donc portés par la dynamique jusqu’en 2022.
Arbitres et juges de paix de la situation seront la consommation affolante de biens de consommation et les perturbations de la chaîne d'approvisionnement qui « refusent obstinément de disparaître » et qui repoussent sans cesse le « retour à la normale », selon les expression de Drewry. C’est tentant pour que les transporteurs sécurisent leurs futurs bénéfices en ajustant à la hausse les taux contractuels en négociation. Mais l’on n’entend pas de portes claquer avec fracas. La seule rupture de contrat effectuée avec bruit a été celle du transitaire allemand DB Schenker avec Maersk. Mais les motivations ne seraient pas tout à fait – pas totalement – en lien avec une augmentation inconsidérée des taux de fret.