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La loi Littoral, un projet qui passionne et qui lasse

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La soumission récente du projet de loi sur le littoral à l'avis du Conseil Economique et Social et de l'Environnement (CESE)(http://www.cese.ma/Pages/actua.aspx ) témoigne encore une fois de la difficulté de gestation de la loi sur le littoral marocain.

En effet, adopté dans sa première mouture au milieu des années 80, remanié au milieu des années 90, soumis enfin au conseil des ministres en juillet 2009, puis retiré du parlement pour être révisé une énième fois par les départements ministériels, le projet de loi sur le littoral soulève toujours autant de débats passionnés. Plusieurs responsables ministériels témoignent même d'une lassitude à réétudier et à remanier les dispositions d'un texte dont l'issue reste toujours incertaine.

Les blocages du processus d'adoption du projet de loi sur le littoral peuvent être expliqués par des facteurs intrinsèques au texte lui-même (définition du littoral, administration de coordination, etc.) et par des facteurs extrinsèques résidant notamment dans la présence de lobbies forts sur le littoral (carrières de sable, pêche).

Si tous les intervenants s'accordent sur la nécessité d'adopter une approche de gestion intégrée du littoral, le débat reste toujours aussi vif sur la définition même de cet espace et partant sur l'institution susceptible de mener cette approche intégrée.

Paradoxalement, les retards de l'adoption de la loi sur le littoral ont des avantages certains. Ils ont par exemple permis d'intégrer dans ce texte le risque climatique, chose qui est assez rare en droit comparé (peu de textes sur le littoral traitent de ce risque). Mais l'ambition du texte reste encore assez limitée.

En effet, la dernière version donne l'impression d'un patchwork de dispositions ajoutées au fur et à mesure des lectures successives du texte. Les nouveaux modes d'occupation du littoral marocain qui sont en pleine évolution (aquaculture, exploration offshore, énergie renouvelables) devraient inciter les rédacteurs de ce texte à penser à une version renouvelée qui serait une refonte de tout le droit applicable à l'espace littoral, y compris sur sa partie marine.

Quel littoral?

Plusieurs administrations chargées de l'examen du projet de loi sur le littoral expliquent le retard de l'adoption de la loi Littoral par la difficulté à définir cet espace. En effet, les différents projets de lois ont oscillé entre une définition administrative (à l'exemple de la loi française du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral) et une définition écosystémique, donc fonctionnelle.

Encadré n°1: la définition administrative du littoral selon le projet de loi sur le littoral

Le champ d’application du projet de loi sur le littoral de 1998 couvre "les communes riveraines de la Méditerranée et de l’océan Atlantique et des étangs ou lagunes salées, les  communes riveraines des embouchures lorsqu’elles sont situées en aval de la limite de salure des eaux et participent aux équilibres économiques et écologiques littoraux et enfin les  communes qui participent aux équilibres économiques et écologiques littoraux, lorsqu’elles en font la demande auprès du gouverneur".

Quant à la deuxième définition, son apport réside dans la souplesse qu'elle est susceptible de permettre lors de la mise en œuvre de la loi, même si elle pèche par son manque d'exactitude, donc par le risque d'insécurité juridique.

Encadré n°2: La définition administrative du littoral par le projet de loi sur le littoral

En vertu du projet de loi de 1994 relatif à la protection du littoral cet espace est défini comme « le Domaine public maritime ainsi que les zones et espaces limitrophes qui, en raison de leur  sensibilité et de leur rôle dans l’équilibre écologique, nécessitent une protection et un aménagement particuliers ».

La dernière version du projet de loi sur le littoral (2 octobre 2014) a finalement opté pour une définition "sage" du littoral dans le sens où celui-ci est plus assimilé au domaine public maritime (DPM) dont il éclairci les contours en complétant ainsi le dahir du 1er juillet 1914 relatif au domaine public. Il contribue ainsi à mettre fin au débat sur la question de l'incorporation de la mer territoriale au DPM.

Encadré n°3: la définition du littoral selon la dernière version du projet de loi sur le littoral

Article 2 :

1) Littoral: zone côtières constituée :

-côté terre : du domaine public tel que fixé au a) de l'article premier du dahir du 7 chaabane 1332 (1er juillet 1914) sur le domaine public et les eaux maritimes intérieures tels les estuaires, les baies, les étangs, les sebkhas, les lagunes ainsi que les marais salants et les zones humides communiquant avec la mer et les cordons dunaires côtiers;

-côté mer : du rivage de la mer et de l’étendue des eaux maritimes situées au-delà de ce rivage jusqu’à une distance en mer de 12 milles marins".

La nouvelle version du projet de loi sur le littoral opère dans ce sens un véritable recul par rapport aux versions précédentes, notamment les versions optant pour une définition écosystémique du littoral.

Moins audacieux quant à la définition du littoral, le projet de loi sur le littoral l'est aussi sur le plan de la désignation d'une instance de gestion de cet espace.

Qui va "gérer" le littoral?

La gestion intégrée du littoral est définit comme : « un processus dynamique de gestion et d'utilisation durables des zones côtières, prenant en compte simultanément la fragilité des écosystèmes et des paysages côtiers, la diversité des activités et des usages, leurs interactions, la vocation maritime de certains d'entre eux, ainsi que leurs impacts à la fois sur la partie marine et la partie terrestre » (article 2 –f du Protocole de Madrid sur la gestion intégrée des zones côtières de la Méditerranée).

L'institution en charge de la gestion du littoral semble avoir été abandonnée par les dernières versions du projet de loi sur le littoral et ce en raison des débats houleux qu'avait suscité cette institution. Plus récemment, plusieurs administrations ont appelé au retour de cette institution dans le texte de loi sur le littoral.

Mais en réalité, le dispositif institutionnel de la gestion intégrée du littoral existe bel et bien dans le texte du projet de loi. Les dernières versions du texte ont tout simplement opté pour une Commission au lieu d'une Agence comme le souhaite certaines administrations. L'Agence aurait, en effet, posé plus de difficultés pour sa mise en place.

La création d'une agence aurait par exemple eu comme conséquence d'exacerber les conflits de compétences des intervenants sur le littoral et pourrait faire double emploi avec des administrations comme le département de l'environnement, ou le département de l'aménagement du territoire.

Mais l'institution d'une commission nationale et de commissions régionales du littoral dépend de décrets d'application dont la mise en œuvre ne peut commencer que deux ans après leur publication. Autant dire que cela risque de demander encore quelques années, dans l'hypothèse où la loi est adoptée en 2015 (voir illustration n°1).

Encadré n°4: Articles du projet de loi sur le littoral traitant des commissions de gestion du littoral:

"Article 5 : Préalablement à son approbation,le projet de plan national du littoral est soumis à l’avis  d’une commission nationale de concertation appelée « commission nationale de gestion intégrée du littoral », ci-après dénommée « la commission » composée des représentant des administrations concernées, des conseils des régions, des établissements publics, instituts et organismes de recherche et organismes professionnels concernés, ainsi que de représentants des associations actives en matière de protection du littoral.

La composition, le nombre des membres, les attributions et le mode de fonctionnement de la commission ainsi que les modalités d’élaboration du plan national du littoral sont fixés par décret.

L’administration compétente dispose d’un délai de deux ans, à compter de la date de publication au Bulletin Officiel du texte réglementaire visé à l’alinéa ci-dessus, pour soumettre le projet de plan national du littoral à l’avis de la commission susmentionnée.

Article 9 :   Préalablement à son approbation,le projet de schéma régional du littoral est soumis à l’avis d’une commission régionale de concertation composée du Wali de la région ou son représentant, du président de la région ou son représentant, des représentants des administrations et des conseils des collectivités territoriales concernés, des établissements publics, des instituts et organismes de recherche et des organismes professionnels concernés ainsi que des associations actives en matière de protection du littoral.

Ce projet est également soumis à l’avis de la commission visée l’article 5 ci-dessus.

La composition, le nombre des membres, les attributions, le mode de fonctionnement de la commission régionale et les délais de concertation et d’avis, ainsi que les modalités d’élaboration du schéma régional du littoral sont fixés par décret."

Illustration n°1: Estimation du délai de mise en place de la commission de gestion intégrée du littoral et de mise en œuvre de la loi sur le littoral (estimation faite à partir du texte du projet de loi sur le littoral):

 

* Le texte du projet de loi sur le littoral est silencieux à propos de cette question.

De la GIZC à l'adaptation

Le département de l'environnement a finalement décidé d'intégrer le risque climatique dans le projet de loi sur le littoral afin d'en harmoniser les dispositions avec la Charte nationale sur l'environnement et le développement durable. Les changements climatiques sont ainsi pris en compte lors de l'élaboration du plan national et des schémas régionaux du littoral. Mais le projet de loi n'en dit pas plus. Il n'explique pas par exemple comment les changements climatiques seront pris en compte, ni quelles seraient les conséquences de cette prise en compte sur les droits des riverains, sur les obligations de l'administration, etc.

La notion d'adaptation du littoral n'est pas non plus explicitée par le texte, alors que le Maroc y adhère à travers ses deux communications nationales à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). En effet, dans ces deux rapports, le littoral est désigné parmi les espaces les plus vulnérables aux changements climatiques et nécessite une stratégie d'adaptation et ce conformément aux recommandations du groupe d'expert internationaux sur le climat (GIEC).

Illustration n° 2: L'adaptation du littoral aux effets des changements climatiques selon le GIEC

 

Source : http://ipcc.ch/ipccreports/sres/regional

 

De la GIZC à la planification maritime et côtière

A l'exemple de l'Angleterre (Marine and Coastal Access Act, 2009), le législateur marocain devrait saisir l'opportunité de légiférer sur le littoral pour innover. L'exemple de la loi française sur le littoral a montré ses limites. En effet, plusieurs rapports parlementaires ont relevé les insuffisances de cette la loi[1]. Adoptée en 1986, la loi Littoral a été sauvée par le juge français. En témoigne le contentieux abondant dont elle fait l'objet (Sénat, 2014, p. 58). Par ailleurs, cette loi focalise davantage sur la partie terrestre du littoral (plusieurs dispositions de la loi sont intégrées dans le Code de l'urbanisme).

Si les premiers projets de loi sur le littoral marocain se sont contentés d'en recopier les dispositions (surtout l'avant-projet de loi sur le littoral de 1998), force est de constater que les dernières versions s'éloignent du modèle législatif français et adoptent une approche plus orientée vers la planification. Tout le projet de loi est en effet construit autour du plan national et des schémas régionaux du littoral. Mais les rédacteurs du projet de loi n'ont pas saisi cette occasion pour expliciter davantage cette approche notamment pour ce qui concerne la partie marine du littoral. Sans doute ont-ils préféré laissé le soin de le faire aux décrets d'application très nombreux dans le projet de loi sur le littoral à tel point qu'ils risquent d'en bloquer la mise en œuvre.

Encadré n°5: Définitions de la planification maritime.

Selon l'Union Européenne:

En vertu de l'article 3 de la Directive 2014/89/UE du Parlement Européenne et du Conseil du 23 juillet 2014 établissant un cadre pour la planification de l'espace maritime, (JO de l'Union européenne, du 28 aout 2014, L 257/135):la planification de l’espace maritime est "le processus par lequel les autorités concernées des États membres analysent et organisent les activités humaines dans les zones maritimes pour atteindre des objectifs d’ordre écologique, économique et social".

Selon l'UNESCO:

"La planification spatiale marine est un processus public d'analyse et de répartition de la distribution spatiale et temporelle des activités humaines dans les zones marines pour atteindre les objectifs écologiques, économiques et sociaux qui ont généralement été spécifiées par un processus politique. Les caractéristiques de la planification spatiale marine comprennent l'approche écosystémique, le zonage, l'approche intégrée, adaptative, stratégique et participative.

La planification spatiale marine n' est pas une fin en soi, mais un moyen pratique de créer et d'établir une utilisation plus rationnelle de l'espace marin et les interactions entre ses utilisations, de concilier les exigences du développement et la nécessité de protéger l'environnement, et d'atteindre des objectifs sociaux et objectifs économiques de manière ouverte et planifiée". (UNESCO –IOC, Marine spatial planning, A step by step approach. Towards Ecosystem-based Management, Manual and Guides No. 53, ICAM Dossier No. 6, 2009).

Pourtant la planification maritime n'est pas tout à fait absente des politiques publiques. En effet, le Plans Halieutis[2] par exemple est fondé sur cette approche. C'est ainsi que plusieurs plans de développement et d'aménagement de l'aquaculture sont en cours d'adoption (http://www.anda.gov.ma/node/174# ). Il en est de même des plans de gestion des pêcheries. Plus récemment, la politique des énergies renouvelables fera certainement appel à des emplacements en mer et sur la côte. Idem pour les explorations offshores et autres stations de désalinisation de l'eau de mer. La planification maritime s'impose donc aux autorités publiques. Autant donc saisir l'acte de légiférer sur le littoral pour intégrer cet aspect. En ce faisant, le législateur marocain aura accomplit un véritable travail législatif de fond susceptible de conférer aux espaces maritimes et littoraux la place qu'ils méritent dans les politiques publiques. 

 

Samira Idllalène

Université Cadi Ayyad, Faculté polydisciplinaire, Département Droit et Economie, Safi, Maroc

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[1] A titre d'exemples, Rapport d'information n°421 (2003-2004) du sénateur Patrice Gélard, fait au nom de la commission des affaires économiques et de la commission des lois du Sénat, déposé le 21 juillet 2004, Rapport d'information n°1740 du député Jacques Le Guen, fait au nom de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, déposé le 21 juillet 2004, Rapport d'information n°297 (2013-2014) des sénateurs Odette Herviaux et M. Jean Bizet, fait au nom de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire, déposé le 21 janvier 2014.

[2]  Stratégie de développement et de compétitivité du secteur halieutique marocain à l'horizon 2020. 

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